À l’occasion du Jumping International de Bordeaux, nous avons rencontré Sébastien Capelli, metteur en scène du spectacle Rêve(s). Cavalier professionnel, producteur et artiste, il porte un regard unique sur le cheval et sur la manière de le raconter sur scène. Dans cet entretien, il revient sur son parcours atypique, son lien intime avec Bordeaux et la genèse d’un spectacle qui mêle poésie, musique et sensibilité équestre.
J’ai quitté l’école à 15 ans pour travailler dans les chevaux. Ce choix m’a permis de faire de belles rencontres, dont celle de Jean Rochefort. À cet âge-là, je n’en mesurais pas la portée, mais ce croisement entre le cheval et le monde artistique ressemblait déjà à un signe du destin. J’ai ensuite poursuivi une carrière de cavalier professionnel de CSO avant de m’orienter vers la production et l’événementiel. Un tournant déterminant a été ma rencontre avec Amandine Tirebois, qui m’a introduit au spectacle équestre et m’a ouvert un rapport plus sensible, plus intérieur, plus artistique au cheval.
Au fil des années, j’ai organisé de nombreux spectacles, équestres et non équestres, et participé à des tournages de films ainsi qu’à des projets avec des musiciens. Ces expériences ont élargi mon regard, nourri ma manière de concevoir un spectacle et renforcé mon envie d’explorer différentes formes de narration.
J’ai également développé une histoire très particulière avec Bordeaux. Nous y avons produit des spectacles en plein cœur de la ville, notamment place Saint-Michel, parce que cela me tenait à cœur de proposer du spectacle vivant dans des quartiers populaires. Mon rapport avec le Jumping International de Bordeaux est ancien et multiple : enfant, j’ai participé à une démonstration de horse-ball en 1996 ; plus tard, j’ai pris part aux épreuves partenaires en tant que cavalier ; j’ai assuré la production des animations sur les pistes ; j’ai été spectateur durant de nombreuses éditions ; et j’ai également apporté un soutien ponctuel sur un stand lors d’une édition. Je l’ai réellement connu sous toutes ses formes.
Elle découle naturellement de ce lien ancien et multiple avec l’événement. Le Jumping est, pour moi, un événement international majeur, profondément attaché à la région. Après l’avoir découvert comme enfant, cavalier, spectateur et producteur, l’idée d’y créer un spectacle s’est imposée comme une continuité logique, avec l’envie d’apporter quelque chose de personnel, d’artistique, et de surprenant.
Rêve(s) est né d’un ensemble d’éléments qui se sont assemblés naturellement : mon attachement à Bordeaux, mon parcours avec les chevaux, et l’envie d’y proposer un projet qui me ressemble. La lecture du livre Monsieur Cagole de Carole Rouland a ensuite apporté une dimension plus intime. Ce texte m’a profondément touché et a ouvert l’espace dans lequel le spectacle a commencé à se construire. Carole Rouland a d’ailleurs écrit quelques mots spécialement pour la scène où apparaît ma fille, qui ouvrira et conclura la représentation.
J’ai également souhaité inscrire Rêve(s) dans la marque d’exigence artistique du Jumping International de Bordeaux. Une formation issue de l’Opéra National de Bordeaux sera présente, avec ma compagne, altiste, qui fait partie intégrante de la création. La présence d’artistes équestres que j’estime profondément — avec qui j’avais réellement très envie de travailler — contribue aussi à l’identité et à la sensibilité du spectacle.
La mise en scène de Rêve(s) s’appuie sur des références variées : James Thierrée, Rachid Taha, Charlie Chaplin, Gilles Audejean, certaines esthétiques du cirque, ainsi que la musique classique portée par les musiciens de l’Opéra National de Bordeaux. Le cinéma occupe également une place importante, notamment les univers de Jean-Pierre Jeunet et Cédric Klapisch. J’ai toujours regretté de ne pas avoir connu la mouvance de la Caravane de Quartier des années 80, dont l’énergie artistique populaire m’aurait profondément inspiré.
Malgré la diversité de ces influences, la ligne directrice reste simple : la mise en scène est construite pour mettre le cheval au centre. La lumière, l’espace et le rythme sont pensés pour révéler sa présence, sa fragilité, sa puissance, et la relation qu’il entretient avec les artistes.
Enfin, j’ai souhaité surprendre le public, l’emmener au-delà de la seule dimension équestre, avec des moments inattendus où la musique, l’image, le mouvement et la dramaturgie ouvrent d’autres portes sensorielles.
Connaître le Jumping sous autant de formes m’a permis de comprendre son identité profonde. J’ai également eu l’occasion de produire un spectacle équestre place Saint-Michel, au cœur d’un quartier populaire de Bordeaux, un moment fort pour moi. Cela m’a rappelé l’importance de proposer de l’art accessible, vivant, enraciné dans la ville.
Dans Rêve(s), j’ai souhaité retrouver cet esprit : accompagner la dimension sportive du Jumping tout en offrant une respiration artistique sincère, sensible et ancrée dans le territoire.
Enfant, j’ai connu beaucoup d’inquiétude, d’anxiété, puis l’agoraphobie et la déscolarisation. Dans ces années-là, les chevaux ont été un refuge essentiel. Leur constance, leur justesse, leur manière d’exister sans jugement ont joué un rôle déterminant dans mon équilibre. C’est pour cela que le cheval occupe une place centrale dans ma vie. Il apporte une forme de vérité, de patience, d’alignement intérieur que je n’ai trouvée nulle part ailleurs.
Dans tous les spectacles que je crée, il y a cette volonté de leur rendre hommage : à ce qu’ils m’ont apporté, à ce qu’ils continuent d’apporter à ceux qui les approchent vraiment, et à la manière dont ils révèlent la part la plus sincère de chacun. Plus largement, je crois que le cheval reste un guide pour l’homme. Il nous ramène à ce qui compte : la cohérence, la présence, et le respect du vivant.